“Alzheimer est une maladie qui présente un gros challenge sur le plan médical”, expose Xavier Louis, “elle va tuer 100 fois plus que le Covid dans les années à venir”. Devant ce constat, le Français de Londres veut aider à sa façon pour tenter de prévenir cette maladie qui toucherait aujourd’hui près de 50 millions de personnes. Des études récentes montrent que ce chiffre atteindra même 75 millions en 2030.
Détecter les symptômes d’Alzheimer des années avant le diagnostic
Mais comment aider quand on n’est ni médecin ni chercheur ? Tout simplement en créant une application. SharpTx, qui vient d’être lancée sur le marché britannique après un premier essai il y a 6 mois en Australie, a été développée dans le but de détecter en amont les symptômes d’Alzheimer. “On sait qu’ils apparaissent 10 à 20 ans avant que la maladie ne soit diagnostiquée, 40% des cas peuvent être empêchés”, confie Xavier Louis, “donc cela veut dire qu’on peut faire de la prévention”. Car cette inflammation du cerveau, poursuit-il, résulte d’un style de vie qui pourrait être modifié. “Beaucoup de gens prennent soin de leur corps mais pas de leur tête, or c’est essentiel. En réalisant des bilans cognitifs, on pourrait réduire le nombre de cas et par là-même alléger ce poids qui pèse à la fois sur les malades mais aussi leur famille”.
S’il est aussi intéressé par le sujet, c’est que lui-même est concerné à titre personnel. “J’ai fait un test génétique il y a quelques années et j’ai découvert que j’avais les gènes d’Alzheimer, un vrai facteur de risques”, confie le Français qui s’est donc plongé dans le sujet avec l’envie de comprendre comment les risques de développer cette maladie pouvaient être réduits. SharpTX, qui coûtera £10 par mois (pour le moment elle reste gratuite), a été développée avec des scientifiques et se présente sur trois niveaux. “Il y a d’abord le ‘risk assessment’ où l’utilisateur répond à des questions sur son style de vie pour dresser son bilan cognitif. Un algorithme peut alors déterminer le niveau de risque auquel est exposée la personne”, détaille Xavier Louis.
Pour montrer le sérieux de cette application, le Français précise que tout a été validé par The Medicines and Healthcare products Regulatory Agency, l’agence de régulation qui autorise la mise sur le marché de produits dits médicaux. “Si ce sont des développeurs qui ont travaillé sur la partie design et graphisme, ce sont bien avec des chercheurs d’Oxford et Cambridge que nous avons collaboré pour définir le contenu”, ajoute-t-il.
“Donner un sens à ce que je fais”
Deuxième niveau de l’application, le coach digital, qui vient en aide aux utilisateurs pour leur apprendre à réduire les risques au quotidien, notamment en leur donnant des conseils sur le sommeil, la nutrition, la gestion du stress et les exercices physiques à faire. Enfin, SharpTx donne accès à une clinique virtuelle, où les personnes peuvent échanger avec un clinicien et lui poser leurs questions ou demander une interprétation des résultats de leurs tests cognitifs. Ces deux derniers niveaux ne seront opérationnels qu’en 2022, et l’application n’est disponible pour le moment qu’en anglais, mais Xavier Louis souhaite proposer sur le court terme le français et l’allemand.
Proposer un tel outil, “c’est donner un sens à ce que je fais”, estime le Français de Londres. Né dans une famille de professionnels de santé, lui n’a donc pas choisi cette voie professionnelle, optant plutôt pour des études de commerce. Après son école, il est pris en stage chez Nokia, leader à l’époque de la téléphonie mobile. C’est le début de ce que l’on appelait à l’époque “la bulle internet”. C’était en 2001. “Je suis tombé dedans très jeune, j’ai été très chanceux”. Après une première expérience professionnelle en France chez Freever, une entreprise également dans les télécommunications, le Français débarque à Londres en 2003. “On est venu ici avec ma femme, qui travaillait en banque, car nous voulions vivre une expérience à l’étranger et évidemment améliorer notre anglais”, rit-il.
Et les deux ans prévus au départ se sont transformés en près de 20 ans d’expatriation. “On a tout de suite aimé le côté cosmopolite et international de Londres”, justifie-t-il. De ce côté de la Manche, il continuera ainsi sa carrière professionnelle dans les télécommunications et technologies sans fil, avant de rejoindre Amazon où il dirigera la branche jeux et logiciels. Et ce monde des jeux, il va y rester et même y évoluer, d’abord chez Hutchison 3G UK, puis Playfish et MXP4.
Sa première application rachetée par Hachette Livre
Ce n’est qu’en 2012 que le Français lance avec trois associés (Itamar Lesuisse, Sagi Shorrer, Gerald Goldstein) sa première application, Peak Brain Training. Comme son nom l’indique, elle avait pour but d’aider à l’entraînement cérébral grâce à des jeux éducatifs, de développer l’attention et les capacité de raisonnement, ainsi que de mieux gérer les émotions. Déjà à l’époque, il développe son produit avec l’aide de professionnels de la santé, dont une professeure de l’université de Cambridge. En moins de deux ans, 10 millions d’utilisateurs sont conquis. Aujourd’hui, ils sont plus de 60 millions. Un premier grand succès pour Xavier Louis, qui souhaitait que Peak Brain Training serve autant le grand public que les personnes nécessitant une rééducation cérébrale suite à un accident ou une maladie. “On a reçu de nombreuses demandes venant du monde entier pour utiliser nos jeux dans le cadre de recherches et d’études scientifiques”, raconte le Français.
Son application devient devenue numéro un mondial sur le marché. En plus d’être nommée “Best App” sur l’Apple Store, elle décroche plusieurs autres prix. Le succès de Peak Brain Training séduit alors Hachette Livre, qui la rachète en 2016. Après le rachat, Xavier Louis reste trois ans au sein de l’entreprise pour continuer à développer son application. Mais le Français est épris de liberté professionnelle. “En fait, je me suis rendu compte que je n’avais pas envie de revenir dans le monde corporate”, confie le quadragénaire, “être patron, même si c’est beaucoup de responsabilités, c’est aussi avoir plus de flexibilité. J’aime être aux manettes, avoir le sentiment que ce je fais a un impact, que cela peut changer le monde ou les choses”.
Justement avec Peak Brain Training, Xavier Louis s’est vite rendu compte de l’impact que son application a pu avoir. “C’est quelque chose que l’on n’avait pas anticipé. C’est grisant de se dire qu’on peut aider les gens et les médecins”, explique celui qui a toujours vu les applications comme de possibles cures supplémentaires pour les personnes malades. Il appelle même cela la “digital therapy”. Ce sera donc suite à ce premier succès que Xavier Louis décidera de continuer sur sa lancée et qu’il lancera en 2021 Sharp+. “Le but ce n’est pas d’empocher de l’argent, car je n’ai rien à prouver. Mais c’est me lever le matin et me dire que le projet que je propose est intéressant et peut aider les autres”.