Venue voir son petit ami anglais, une Française finit 7 jours en centre de rétention

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Crédit : Shutterstock / Brookgardener

“Je me demande encore ce que j’ai pu faire de mal”. Annabelle* reste traumatisée par ce qu’elle a vécu en février dernier à l’aéroport de Gatwick. La Française, qui arrivait de Ténérife pour rendre visite à son petit ami britannique, a été placée en centre de rétention pendant une semaine. Les douaniers la suspectaient de venir s’installer illégalement sur le sol britannique. 

Une visite à son petit copain qui tourne mal

Plus de 3.000 ressortissants européens auraient été refoulés aux postes frontières au premier semestre 2021, selon les informations du journal Le Monde. Parmi eux, 54 Français. Mais l’histoire d’Annabelle va encore plus loin qu’un simple refus d’accès au territoire du Royaume-Uni. Arrivée à Gatwick le 26 février dernier depuis Ténérife où elle avait rendu visite à son père, la jeune femme se présente au poste frontières. “On m’a demandé quelle était la raison de ma venue, j’ai simplement répondu que je venais voir mon copain anglais”, explique-t-elle. Mais sans qu’Annabelle ne comprenne pourquoi, la douanière lui prend son passeport. “Elle m’a dit de patienter dans une pièce, qui se trouve à la police des frontières”. La Française patiente longuement avant que des agents lui demandent de récupérer ses affaires. “Là, on a fouillé mes sacs, objet par objet, sans me donner quelque raison”.  
Elle est ensuite placée “en salle de détention”. “On m’a confisqué tous les biens, puis posé plusieurs fois la question de la raison de ma venue”. Ce n’est que 5 heures plus tard, continue-t-elle, que les agents lui ont expliqué qu’ils lui refusaient l’entrée sur le territoire. “Ils m’ont accusé de vouloir m’installer dans le pays, je leur ai à nouveau expliqué que je souhaitais simplement voir mon petit copain pendant quelques semaines en tant que “touriste” et que si, éventuellement, je me projetais habiter au Royaume-Uni, je demanderai un visa en bonne et due forme”, assure encore Annabelle. Son erreur, pense-t-elle, a été de leur donner au moment du passage à la douane le courrier écrit par son partenaire qui reprenait le même discours. “Finalement, je crois que cela ne m’a vraiment pas aidé”. 

Une première nuit sur un matelas de camping

Les douaniers ne veulent rien entendre. “Ils voulaient me renvoyer à Ténérife (les autorités sont censées renvoyer les personnes vers le pays d’où ils arrivent, ndlr), mais non seulement le prochain vol retour n’était programmé que le 5 mars, mais je leur ai dit que je préférais rentrer en France, qui est mon pays”. En vain. Les autorités décident de la transférer dans un centre de rétention jusqu’à début mars, mais lui expliquer “lequel ni quand”. Annabelle, “confuse”, finit par dormir, dans la salle de l’aéroport, “parterre sur un matelas de camping”. “Il y avait une Espagnole avec moi, qui était venue visiter une amie mais on lui avait refusé aussi l’entrée. Elle allait être renvoyée le lendemain matin”. 
A 6 heures du matin, les agents viennent chercher la Française pour l’emmener au Colnbrook Immigration Removal Centre, situé à côté de l’aéroport d’Heathrow. “C’était tellement humiliant”, confie la jeune femme de 25 ans, “tout me semblait irréel”. Ses affaires sont à nouveau fouillées, des vidéos prises. “J’ai dû choisir les vêtements dont j’avais besoin pour les 7 jours de détention, mais je n’avais le droit ni au téléphone ni à mon ordinateur”. Pire, poursuit-elle, les autorités lui confisquent ses antibiotiques, qui ne lui seront prescrits à nouveau que deux jours plus tard. “Dans le centre, je ne pouvais même pas sortir fumer ma cigarette sans être accompagnée par un officier, il y avait des barbelés tout autour du bâtiment. Je me suis sentie profondément humiliée, avec un gros sentiment d’injustice. J’avais tellement l’impression d’être traitée comme une criminelle”.
Décidée à ne pas se laisser faire, Annabelle prend contact avec une avocate. “Voyager fait partie de ma vie, cette déportation allait être inscrite quelque part et cela aurait pu me porter préjudice à l’avenir, notamment pour des demandes de visa”, explique la jeune femme. Son petit copain, de son côté, tente de contacter le consulat, en vain (contactée par nos soins, l’Ambassade de France du Royaume-Uni n’a pas encore donné suite à nos sollicitions). Après 7 jours en centre de rétention, la décision des autorités britanniques a alors été annulée. “J’ai été donc envoyée dans un plus grand centre, le Yarl’s Wood Immigration Removal Centre”, poursuit Annabelle. Un centre situé à Bedford, à des kilomètres au nord de Londres. Là-bas, ses affaires ont été à nouveau fouillées, ses antibiotiques confisqués une nouvelle fois. “Ils ont même mis 40 euros de charcuterie, que j’avais ramenés pour mon copain, à la poubelle”.

Des conditions insalubres

Mais c’est surtout l’insalubrité du lieu qui la choque cette fois-ci. “Il y avait des cheveux sur les murs de la douche, de la moisissure partout, un mouchoir qui faisait office de bouchon à la ventilation. Les draps sentaient l’humidité, j’ai même dû passer mon  déodorant à bille dessus pour couper un peu l’odeur”. Elle est aussi constamment surveillée. “Deux fois par nuit, un agent vient vérifier que l’on est bien dans la chambre”. Après deux jours dans cet “enfer”, Annabelle a enfin pu être libérée, grâce à l’action de son avocate, qui lui aura quand même coûté au total 3,000 euros. “Mon passeport m’a seulement été rendu le 10 mars, mais seulement parce que j’avais décidé de rentrer en France de mon plein gré. Le pire, c’est que finalement je suis restée plus longtemps au Royaume-Uni que ce que j’avais prévu au départ”. 
Dégoûtée, c’est le sentiment qu’elle ressent encore trois mois après. “Il est clair que je ne remettrai plus jamais les pieds là-bas, je ne me suis jamais sentie aussi humiliée et privée de ma liberté à ce point de toute ma vie”. Surtout, dit-elle, elle ne comprend pas ce qu’elle a pu faire de mal. “Quand on va sur le site du gouvernement, il est expliqué qu’on a le droit de venir pour un entretien d’embauche, ou pour visiter quelqu’un”, lance la Française, “j’ai donné l’adresse où j’allais être, il aurait été simple de vérifier que je ne venais pas là pour m’installer illégalement”. 

Un manque d’information auprès des voyageurs

‘the3Million’, créé au lendemain du référendum sur le Brexit et qui milite pour la protection des droits des citoyens européens, a eu vent de situations similaires à celle vécue par Annabelle. Nicolas Hatton, co-fondateur de cette association, se dit choqué. “Certes, les règles migratoires ont changé depuis le 1er janvier, on ne va pas revenir dessus, mais on constate qu’il y a un manque cruel d’information. 99% des personnes sont honnêtes, ce ne sont pas des trafiquants ou des criminels, le seul problème c’est qu’elles ne connaissent pas les nouvelles mesures migratoires. Et le gouvernement britannique fait exprès de traiter de manière inhumaine ces personnes, pour faire passer un message très fort : ‘si vous venez pour travailler sans visa, on vous mettra dans un centre de rétention’”. 
Sauf que théoriquement, les personnes peuvent entrer sur le territoire britannique, non seulement pour visiter quelqu’un, mais aussi pour passer un entretien d’embauche, confirme Nicolas Hatton. “Le problème c’est qu’il y a des agents aux frontières qui ne sont pas au courant ou que des voyageurs s’expriment dans un anglais approximatif lors des interrogatoires. Le Home Office a promis qu’il allait faire passer le message auprès des douaniers, sauf que les cas d’Européens refoulés à la frontière ne cessent pas”. 
Le Home Office a annoncé il y a quelques semaines que les citoyens européens “qui se sont vu refuser l’entrée au Royaume-Uni et attendent leur expulsion devraient bénéficier d’une ‘immigration bail’, le cas échéant”. Ce principe d’’”immigration bail” permet aux personnes, qui en font la demande, d’être libérées sous condition entre autres de ‘pointer’ au commissariat. Mais le ministère de l’Intérieur précise tout de même que “la détention d’une personne peut être appropriée dans certains cas, notamment pour assurer la sécurité du public”, le temps de trouver un vol retour. Mais Covid oblige, cela peut parfois prendre du temps à cause du faible nombre de vols quotidiens. C’est pourquoi le ministère encourage “tous les ressortissants de l’UE à vérifier s’ils ont besoin d’un visa avant de voyager”

Mauvais présage même pour les détenteurs d’un pre-settled ou settled status ?

L’Union européenne n’a pas encore vraiment réagi de manière ferme à ces situations de ressortissants bloqués aux frontières. “On ne sait pas ce que va faire le Parlement européen ou le comité européen sur le Brexit”, avance Nicolas Hatton, “c’est un sujet délicat”. Ce que le Français souligne c’est que les Européens ne sont pas les seules victimes de cet “environnement hostile” migratoire. “Les non Européens l’expérimentent depuis longtemps”
Ce que le co-fondateur de ‘the3million’ redoute plutôt aujourd’hui que certains ressortissants européens résidant au Royaume-Uni soient pris dans ce genre de situation. “On a beaucoup de personnes qui nous expliquent qu’elles ne veulent pas rentrer dans leur pays d’origine pour voir leur famille, car elles ont peur de finir en centre de détention à leur retour, pusiqu’aujourd’hui il n’existe aucune preuve physique de l’obtention d’un pre-settled ou d’un settled status”, commente-t-il. A l’inverse, leur famille pourraient se retrouver coincées aux frontières, comme l’a été Annabelle. “Cela va créer une forme de paranoïa”, pense Nicolas Hatton, qui ajoute, “si ce genre de situation peut être traumatisant pour des jeunes, imaginez ce que cela pourrait être pour des personnes âgées et parlant mal l’anglais. Comment expliquer les choses lors des interrogatoires avec les douaniers?”.


*Prénom modifié à la demande de l’interviewée

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