Parce que son père adorait marcher pendant des heures et qu’elle a trouvé que ce serait le plus bel hommage à lui faire, Anne Manuel a décidé de chausser les baskets samedi 1er juin, jour de son 23ème anniversaire, pour parcourir plus de 40 kilomètres dans Londres lors du Trek26 organisé par Alzheimer’s Society. Le but étant de récolter des fonds en soutien l’association britannique. Après ce rendez-vous, son investissement caritatif ne s’arrêtera pas là puisque jeudi 6 juin, elle proposera une soirée gustative et musicale à Londres pour continuer à collecter de l’argent.
Si ces deux événements lui tiennent tant à cœur, c’est parce qu’elle a perdu son père en octobre dernier, dix ans après qu’il a été diagnostiqué de la maladie d’Alzheimer. “Mon anniversaire tombe le 1er juin et je trouvais que c’était parfait pour faire quelque chose de concret pour aider l’association”, confie la jeune femme installée à Londres depuis septembre pour finir ses études en relations presse.
C’est à 12 ans qu’elle apprend que son papa est atteint de la maladie, elle est alors bien trop jeune pour comprendre ce qu’était Alzheimer. “Pour des raisons familiales, je ne voyais mon père qu’une fois par semaine”, confie avec nostalgie Anne Manuel. Pire, deux ans plus tard, son papa décide de quitter la Bourgogne pour rejoindre le sud, à Albi plus exactement, sa terre natale.
De la colère au lâcher prise
La distance complique alors les rapports et l’état du père d’Anne Manuel se dégrade, il perd ainsi certains de ses réflexes, mais aussi un peu la parole. “Il ne savait plus par exemple utiliser son téléphone”, confie la jeune femme. Pas simple quand on est adolescente de voir son papa si diminué. De la colère, il y en a eu, confesse la Française, jusqu’au jour où elle a décidé de “lâcher prise”. “J’aimais passer ces moments avec lui, on faisait des puzzles, on écoutait de la musique et on marchait. J’ai ainsi compris que je pouvais tisser une vraie relation avec mon père”.
Nul besoin de parler pendant des heures, mais simplement profiter des instants partagés. “Les gens ont peur de la maladie de manière générale. Je pense qu’il faut au contraire voir le côté positif des choses. Par exemple, on oublie souvent de voir la créativité des personnes. Je ne me suis jamais énervée contre mon père, mais on riait de ce qu’il faisait, comme quand il utilisait sa fourchette au lieu du couteau pour étaler son beurre. S’agacer en lui expliquant que ce n’est pas comme ça qu’il faut faire, cela serait revenu à essayer de faire faire des maths à quelqu’un qui n’y arrive pas”.
Et Anne Manuel ne le regrette pas une seule seconde. Comme tous ces moments, où sans se parler, le père et la fille ont vécu des émotions uniques. “J’ai appris qu’il n’y avait pas que le langage pour communiquer, mais aussi la communication non-verbale. Toucher une main par exemple vaut bien mieux qu’un long discours”. Les derniers mois avant son décès à l’âge de 64 ans, l’état de son papa s’était beaucoup dégradé, mais elle garde le souvenir de l’entendre chantonner, parce qu’il ne pouvait plus parler.
Trouver une communauté avec qui parler
S’investir auprès d’Alzheimer’s Society était aussi une manière de trouver du soutien auprès d’une communauté qui a vécu et traversé les mêmes épreuves émotionnelles. En effet, à son retour à Londres après avoir dit au revoir une dernière fois à son père, la jeune femme s’est sentie bien seule. “J’avais besoin de trouver du soutien, une communauté pour pouvoir échanger sur ce que j’ai vécu pendant dix ans”, confesse-t-elle. Surtout dans une capitale comme Londres, où tout le monde vit à 100 à l’heure. “L’association Alzheimer’s Society a reconnu que c’était compliqué ici de trouver un espace public pour parler de cette maladie, car Londres est une ville jeune et dynamique”.
Peu importe, jeudi 1er juin, elle espérera sentir la présence de son père auprès d’elle lors de ce parcours. “Cette marche, c’est un peu comme si je voulais aller vers lui”, lance la Française de Londres. Mais pas facile de tourner la page après cela. “J’ai vécu un moment difficile en mars, parce que je me suis rendue compte qu’une fois la marche finie, il n’y aurait plus rien. Organiser une soirée le 6 juin sera donc une sorte de transition, à la fois pour moi, mais aussi pour continuer à collecter des dons. Et puis, mon père adorait non seulement marcher, mais aussi bien manger et écouter de la musique, alors cet événement sera un deuxième hommage”.