Il est Français, chef d’entreprise, vit au Royaume-Uni depuis 2006 et fait partie des 160.000 membres du parti conservateur britannique qui viennent de voter pour nommer leur prochain leader et donc le nouveau Premier ministre du pays. Si Boris Johnson est donné favori de cette élection interne, à laquelle quelques Français participent, cet entrepreneur a fait son choix : l’abstention.
C’est une grande première pour lui. “Quand Theresa May a été choisie, ce n’a pas été par le biais d’une telle élection”, rappelle celui qui souhaite garder l’anonymat pour des raisons personnelles et professionnelles. En effet, l’ex-Première ministre avait été nommée après avoir été la dernière concurrente au poste de chef du parti, suite au forfait d’une de ses concurrentes. Le chef d’entreprise, âgé d’une trentaine d’années et installé au Royaume-Uni depuis 2006, a pris sa carte au sein du parti conservateur un an après son arrivée sur le sol britannique. D’abord parce qu’il avait envie de se lancer en politique. “S’engager dans un parti était logique comme j’avais pour ambition de me lancer dans une carrière politique. En France, je me sentais proche des Républicains et même du mouvement de Philippe de Villiers, le MPF, quand j’étais plus jeune. Quand je suis arrivé en Angleterre, le parti conservateur était celui qui correspondait donc le plus à ma sensibilité”, explique le trentenaire.
Une abstention réfléchie
Comme tous les membres des Tories, il a donc été appelé à nommer le prochain leader du parti et de facto le prochain Premier ministre. Entre Boris Johnson et Jeremy Hunt, le choix de ce Français s’est porté sur… l’abstention. Pourtant, il reconnaît qu’au départ de son adhésion chez les Conservateurs britanniques, il penchait davantage du côté des eurosceptiques. Mais depuis, tout a changé. “J’ai compris que pour certains le Brexit était devenu une fin en soi, pas un projet de puissance. Or dans l’industrie et l’économie, l’Europe est partout. Quitter l’Union européenne oui, mais pas le marché unique”, analyse le Français, “d’ailleurs certains ont oublié que ce marché unique était une idée de Magaret Tatcher, c’est donc une vraie trahison”.
Pour lui, Boris Johnson, pourtant grand favori, n’est pas la solution au problème. “C’est un peu un ovni en politique, certains disent qu’il est plus intéressé par le pouvoir que le parti. La preuve qu’il est versatile : il a écrit deux articles, un pour le Brexit, l’autre contre. On sent qu’il y a un vrai calcul électoraliste de sa part, ce n’est pas un homme d’Etat, mais simplement un homme qui aime la politique politicienne”, commente le chef d’entreprise, qui a un peu plus d’estime a contrario pour l’ex-Première ministre Theresa May. “J’ai beaucoup de respect pour elle, elle a été très têtue et fait preuve de courage politique. Cependant, ce n’était certainement pas la meilleure pour être nommée à ce poste, parce qu’elle n’avait pas toutes les compétences et encore moins l’attitude nécessaires”.
Il regrette que l’épouvantail “Corbyn” (du nom du leader du parti travailliste, Jeremy Corbyn, ndlr) soit agité à tous les étages pour faire maintenir les Tories dans leur rang et presque les obliger à voter pour Boris Johnson. “Certains disent que si on ne va pas dans cette ligne dure du Brexit, on risque d’avoir les Travaillistes au pouvoir. C’est donc la logique de mettre le parti au-dessus du pays”. Hors de question pour lui qui se sent britannique. C’est pour cela qu’il aura préféré s’abstenir. “C’est une décision difficile, mais je devais le faire”.
Il se dit par ailleurs déçu de ses collègues du parti. “La moyenne d’âge est autour de 60 ans, avec une majorité venant de la classe moyenne aisée. C’est un petit monde déconnecté de la réalité des entreprises, de la société. Ces gens-là, qui cultivent une vision nostalgique de l’empire britannique, n’attendent qu’une chose : un no deal”. Le Français raconte qu’un jour il a même entendu un des membres confier qu’il avait hâte de quitter l’Union européenne car “quand il revenait à l’aéroport d’Heathrow, il en avait marre de faire la queue avec des Européens qui avaient des noms ‘marrants’. Incroyable, non ?”.
Le Royaume-Uni en pleine une crise
Le choix des Britanniques de quitter l’UE, il explique le comprendre tout en se posant encore des questions sur le résultat de juin 2016. “Le Royaume-Uni traverse une crise identitaire depuis de nombreuses années, on l’avait déjà vu avec le référendum sur l’indépendance de l’Ecosse”, avance le Français, “il y a aussi une fracture entre Londres et le Nord de l’Angleterre désindustrialisé, en difficulté économique et qui a le sentiment d’être négligé. On peut donc comprendre le rejet de l’Union européenne surtout quand il est alimenté par les discours populistes faciles”. Cependant, ce que le Français ne comprend pas, c’est, répète-t-il, l’ambition de certains de provoquer un no-deal. “On est bien loin du pragmatisme et de la modération auxquels nous avaient habitué les Britanniques”.
Le Français espère que la sortie du pays ne se fera pas. “Il se peut qu’un second référendum soit organisé ou qu’il y ait un abandon pur et simple du Brexit.” Mais n’a-t-il pas peur que demander à nouveau l’avis de la population ne fasse que confirmer le “leave”, surtout au vu des résultats des dernières Européennes avec une arrivée en tête du Brexit Party? “Ce parti n’existe que par la présence de Nigel Farage, mais ce dernier n’est pas un brillant stratège. On peut se demander si tout cela ne va pas finir comme pour le Ukip qui s’est décomposé après le référendum. Et puis, lors des Européennes, on a vu une montée en puissance du groupe des Lib Dem et du Green Party, donc cela pourrait avec un impact. Par ailleurs, un récent sondage a donné le “remain” gagnant en cas de second vote”.
Un note d’optimisme pour ce chef d’entreprise, qui comme tant d’autres, sont inquiets de l’issue de ce Brexit. “C’est très mauvais pour les affaires. Tous les entrepreneurs le disent. Certaines rumeurs courent disant que de l’argent serait déjà à disposition pour militer pour un second référendum”. Pour l’heure, tout ceci n’est qu’hypothèse ou supposition. Mais le Français espère une chose : le report de la date du Brexit fixée pour le moment au 31 octobre prochain. “On sait cependant qu’il faudra à nouveau l’unanimité de la part des 27 membres de l’Union européenne”, analyse-t-il avant de conclure, “le Royaume-Uni a perdu toute sa crédibilité et cela va lui prendre des années à tout rebâtir”.