Brexit : la victoire de Joe Biden peut-elle influencer les négociations ?

0
335
joe biden brexit negociations
Crédit: Sutterstock / Matt Smith Photographer

Après un suspense de quatre jours, le verdict est tombé samedi 7 novembre : Joe Biden sera le prochain président des Etats-Unis en janvier 2021. Au-delà des frontières atlantiques, ce résultat électoral pourrait influer sur de nombreux sujets politiques mondiaux. Et notamment celui des actuelles négociations sur la future relation entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, qui traînent depuis plus d’un an. 

Des relations tendues entre Boris Johnson et le camp Biden

Même s’il reconnaît qu’il est “difficile de prédire à l’avance si l’influence sera réelle et dans quelle mesure” sur les discussions entre les deux parties, Philippe Marlière, politologue et professeur de sciences politiques à l’UCL à Londres, estime que “la défaite de Donald Trump n’arrange pas les affaires de Boris Johnson”. “Il avait, sur un plan relationnel et politique, misé sur la réélection” de l’actuel locataire de la Maison Blanche, confie l’universitaire, “et il n’a eu jusqu’ici aucun rapport avec Biden”. Pire, le Français rappelle que le futur président américain n’est pas friand de l’actuel Premier ministre britannique. 
En cause, une tribune écrite dans le journal The Sun en avril 2016 par Boris Johnson, où il critiquait vivement Barack Obama, qui avait sous-entendu que la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne serait une erreur. L’ancien maire de Londres avait alors pris sa plume pour suggérer que l’attitude du président américain de l’époque envers la Grande-Bretagne pourrait être basée sur son héritage “partiellement kényan” et “son aversion ancestrale pour l’empire britannique”. “Une anecdote importante”, selon Philippe Marlière. “Les conseillers de Biden (qui fut le vice-président de Barack Obama, ndlr) avaient tweeté plusieurs fois pour expliquer que cette remarque était raciste et qu’ils ne l’oublieront pas”

Joe Biden, un Américain aux origines irlandaises et anti-Brexit

Mais en quoi cela pourrait-il avoir une influence sur les négociations sur le Brexit ? Parce que la forme des relations britanno-américaines sera essentielle à la stratégie du gouvernement britannique de “construire une Global Britain”, selon le politologue. “Si elle pouvait aboutir avec Trump qui avait pris position pour le Brexit, ce sera peut-être moins le cas avec Biden, qui, lui, entretient un rapport plus positif avec l’Union européenne et qui, selon ses conseillers, a toujours expliqué que le Brexit remettrait en cause la sécurité et la paix en Irlande”, confie Philippe Marlière. Le prochain président américain, il est vrai, a un lien important avec l’île puisqu’il a des origines irlandaises. Ce que confirme le journaliste européen Alex Taylor. “Joe Biden avait même déclaré : Quand on la chance d’être irlandais, c’est qu’on a de la chance tout court”.” 
Ce qui pourrait signifier que le prochain président des Etats-Unis, qui avait déjà exprimé son regret après le résultat du référendum de 2016 mettant en garde contre la démagogie et l’isolationnisme, soit attentif au respect de l’Accord du Vendredi Saint, qui avait supprimé depuis 1998 toute frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. “Les Brexiters clament depuis quatre ans qu’ils veulent reprendre le contrôle des frontières, mais en ne parlant que de Douvres et de la côte anglaise, jamais de la frontière irlandaise. Or, il faudra choisir où positionner cette nouvelle frontière entre le Royaume-Uni et l’Union européenne : entre la Grande-Bretagne et les deux Irlande ou entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande”, commente Alex Taylor, auteur du livre Brexit, l’autopsie d’une illusion. Pour lui, Boris Johnson ne pourra pas continuer ainsi et devra faire un choix. De plus, pour le journaliste, la Grande-Bretagne n’avait d’intérêt pour les Etats-Unis que lorsqu’elle “était un pont vers l’Europe”. “Or là, en quittant l’UE, elle ne devient qu’une petite île entre le continent américain et européen”

Boris Johnson devra se montrer plus “raisonnable”

Le Royaume-Uni se retrouve donc en position de faiblesse. “C’est un pays de 66 millions de personnes, qui devra faire face au marché d’une Union européenne de 446 millions d’habitants et à celui des Etats-Unis comptant 330 millions d’Américains”, renchérit Alex Taylor. En somme, pas de quoi faire le poids face à deux mastodontes commerciaux. Marc Roche, journaliste belge basé à Londres et auteur du livre Le Brexit va réussir, pense également que Boris Johnson n’aura donc d’autre choix que de “retirer les passages les plus controversés de la loi sur le marché intérieur et qui concernent directement l’Irlande du Nord”. “Il ne peut pas se mettre à dos les Etats-Unis et les Britanniques savent que Joe Biden est proche de l’Irlande mais aussi de la France et de l’Allemagne”. Ce positionnement du futur président américain, “traditionnel des Démocrates et proche de l’Europe”, n’aura ainsi pour conséquence que d’obliger ainsi le Premier ministre britannique à se montrer plus “raisonnable” et “moins intraitable” sur les sujets d’achoppement comme la pêche et les aides à l’industrie. 
L’arrivée prochaine au pouvoir de Joe Biden pourrait ainsi être “une piqûre de réveil pour le Royaume-Uni pour qu’il se mette au travail afin de trouver un accord minimal avant la fin de la période de transition”, fixée au 31 décembre 2020, et ainsi éviter “une sortie sèche de l’Union européenne”, lâche Philippe Marlière. Le nouveau tour de table des négociations a débuté lundi 9 novembre, avec le retour à Londres de Michel Barnier, qui pourrait alors avoir face à lui “des interlocuteurs plus souples”, analyse Marc Roche. “La date butoir pour trouver un accord est le 16 novembre pour permettre à tous les parlements de ratifier le texte. En somme ça passe ou ça casse, mais Boris Johnson ne peut vraiment pas se permettre de ne pas avoir de deal et cette victoire de Joe Biden ne peut d’ailleurs que le précipiter”.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici